DG du cabinet d’audit et de conseil BM&A, Éric Seyvos a baigné très tôt dans ce qu’on n’appelait pas encore les « soft skills ». Pour les Acteurs de la compétence, il détaille avec passion tout le bénéfice qu’il y a à faire grandir ses équipes en privilégiant la confiance et la transversalité.
A première vue, les soft skills semblent en décalage avec les compétences plus techniques que réclame un cabinet d’expertise comptable. Qu’en pensez-vous ?
Même si cela peut paraître contre-intuitif pour vous, c’est en réalité fondamental. Les deux pierres angulaires de notre métier sont l’audit et le conseil. Or, on ne peut bien auditer et bien conseiller que si l’on établit une relation de confiance avec le client. L’audit, c’est d’abord comprendre des situations. Les chiffres sont la traduction comptable d’opérations faites par des hommes qui effectuent des transactions, achètent, vendent, fabriquent. Nous sommes là pour identifier ce qui va et ce qui ne va pas, au regard d’un corps de normes établies. L’audit, étymologiquement, signifie « écouter ». C’est le socle : écouter, interagir, comprendre. La dimension humaine est fondamentale. D’une certaine manière, les techniques de l’audit sont simples à acquérir. Le reste est plus lent, mais aussi plus riche. Quand la confiance est là, vos interlocuteurs se livrent, en disent davantage, et c’est là que l’audit est de qualité.
Quand avez-vous commencé à « pratiquer » les soft skills ?
Au début des années 2000, quand je suis entré chez Salustro. Mais on ne disait pas « soft skills », à l’époque ! On parlait de prise de parole en public, de sensibilisation aux interactions… J’ai même suivi un cursus pour devenir formateur. Bref, toute la panoplie !
Comment avez-vous réagi lorsque le terme a été popularisé en France ?
Pour être franc, j’ai eu peur que cet engouement soudain ne soit qu’une nouvelle tentative venant de théoriciens anglo-saxons du management pour imposer un concept « à la mode ». Surtout que j’avais l’impression de faire ça depuis longtemps. Je n’y ai donc pas vu une révolution, mais plutôt la reconnaissance d’une méthode qui m’était familière, et j’en fus heureux.
En 2000, vous vous engagez chez Salustro. Pourquoi ?
J’avais des propositions dans d’autres cabinets prestigieux. Ce qui a fait pencher la balance, c’est précisément la richesse humaine et relationnelle dont j’ai senti chez Salustro qu’elle n’était pas feinte. En outre, il s’agissait d’un acteur européen majeur de l’audit. Dès mon arrivée, j’ai bénéficié de formations, et très vite je me suis porté volontaire pour devenir formateur à mon tour. J’ai suivi un cursus durant plusieurs années, mené par des comédiens professionnels, à base de jeux de rôles notamment.
Ensuite, vous rejoignez BM&A…
J’ai suivi Jean-Louis Mullenbach, qui a participé à la création du cabinet Salustro. Il a ensuite rejoint Thierry Bellot pour fonder Bellot, Mullenbach & Associés, devenu ensuite BM&A. La culture d’entreprise Salustro s’est mélangée avec les cultures venant d’ailleurs ; cette diversité culturelle a fait la richesse du cabinet.
Vous avez donc poursuivi dans la voie entamée ?
Oui, j’ai fait appel à l’entreprise de formation avec qui j’avais déjà travaillé. Nous n’étions pas nombreux au départ, entre trente et quarante collaborateurs, mais même en nombre restreint, je trouvais intéressant de se lancer dans les « soft skills ». J’ai repris les mêmes méthodes : apprentissage de la prise de parole, des interactions avec l’autre, mises en situation, jeux de rôles… En m’appuyant sur l’expérience de formateurs qui avaient l’habitude de l’impro. Ça a été d’une richesse incroyable. En interne, mais aussi avec des clients. Je pense notamment à des institutions financières de premier plan, pour lesquelles j’avais perçu un réel besoin. Nous avons construit des programmes pour des gens qui sont les meilleurs de France dans leur domaine. Cela a duré des années. J’étais co-animateur avec un comédien formateur. Ce fut une aventure passionnante, j’ai pris beaucoup de plaisir. Finalement, il s’agissait de soft skills déguisés ! Et pourtant, c’était encore plus « en décalage ».
Comment se fait le passage de formé à formateur ?
Beaucoup de gens se pensent formateurs parce qu’ils ont simplement suivi une formation. C’est un travers classique. Mais on est à des années-lumière ! Rien ne sert de « dire », il faut « vivre ». L’un de premiers jeux de rôles auquel j’ai participé consistait à se mettre en cercle et à s’envoyer une balle imaginaire. Si on envoie la balle sans que l’autre ne regarde, la balle tombe. Moralité : une personne ne peut recevoir un message que si on la regarde en face. Cela, on aurait pu me le répéter mille fois, je l’aurais oublié à chaque fois. Désormais, c’est ancré en moi pour toujours. Former est un art difficile : il faut savoir alterner les méthodes, délivrer un savoir tout en surveillant en permanence son état de réception. Surtout quand les formés sont nombreux. Bref, c’est complexe. Il s’agit d’un lent cheminement.
L’organisation est calée sur le souhait des collaborateurs
Éric Seyvos, Directeur général de BM&A
Comment mettez-vous en application ces méthodes chez BM&A ?
Nous mettons toute notre énergie à créer une relation de confiance et d’authenticité avec nos clients. Pour cela, notre force, ce sont nos équipes. Enfermer les collaborateurs dans un seul métier, ce n’est jamais bon. Ils ont la tête bien faite, ils connaissent leur métier, ils ont donc besoin de progresser sans arrêt dans d’autres spécialités que la leur, d’élargir leur culture générale. Des collaborateurs épanouis, cela signifie un travail bien fait et des clients contents. Décloisonner : c’est comme ça qu’on s’épanouit. On ne passe pas de 30 à 250 collaborateurs comme ça !
Comment passent-ils d’un sujet à l’autre ?
Ce qu’on n’a pas le droit de faire avec un client, c’est d’être à la fois son commissaire aux comptes et son conseiller. En revanche, il est sain pour un cabinet d’être pluridisciplinaire. La bonne façon de former nos auditeurs, c’est qu’ils fassent autre chose à côté : des missions d’évaluation, de transaction, ou d’accompagnement de directions financières. Ils développent des réflexes de recommandations qui sont la valeur ajoutée de nos audits. C’est extrêmement compliqué à gérer en termes de planning ! C’est peut-être pour ça que les autres cabinets ne le font pas.
Mais chez vous, c’est naturel ?
Oui. Les autres cabinets, organisés en silo, ont un turn-over beaucoup plus important. Un auditeur qui ne fait que de l’audit, il y a une chance sur trois pour qu’il soit parti au bout de trois ans. Nous, nous visons un turn-over plus faible. Nos clients apprécient.
Le sigle « RH » n’apparait pas dans votre titre, et pourtant c’est votre obsession…
Faire grandir nos équipes, leur offrir un épanouissement professionnel : c’est devenu mon métier principal aujourd’hui, et la raison pour laquelle je me lève le matin. Mais c’est l’obsession de tous les dirigeants opérationnels de BM&A.
La transversalité a-t-elle une incidence sur les niveaux de hiérarchies ?
Oui et non. Oui, parce que quand quelqu’un a deux ans d’expérience, il est très content qu’on marque sa progression. Et cela rassure le client. Non, parce que cela ne nous empêche pas de constituer des équipes complétement décorrélées des hiérarchies. Je peux tout à fait travailler en binôme sur une mission avec un débutant.
Des équipes se forment donc en fonction des missions ?
Oui : au départ, on identifie les gens par leurs compétences. Après, quand on forme une équipe avec quelqu’un de l’éval’, du support, de l’audit, et des transactions, il faut une bonne coordination. Les responsables de ce décloisonnement seront ceux parmi nos collaborateurs qui ont l’esprit spécialement ouverts, qui connaissent parfaitement les gens, leurs qualités. Ensuite, nous avons instauré un système où les souhaits de nos collaborateurs passent avant ceux des associés. C’est moins l’associé qui dit « je veux travailler avec Untel » que le collaborateur qui, à chaque fin l’année, exprime des souhaits. Par exemple faire 40% en audit, un peu de due dil’ (due diligence, ndr), et un peu d’éval’. La personne qui parle avec les autres pôles est chargée d’exaucer ces souhaits. Donc quand un associé veut travailler avec une personne, cette personne peut lui dire non, même si c’est un « poids lourd ». L’organisation est calée sur le souhait des collaborateurs.
Qui décide en cas de désaccord ?
C’est le ou la manager RH du pôle en question. En tant que responsable du pôle audit, je me suis mis volontairement en retrait. Le seul invariant, c’est le respect de nos normes de déontologie et la satisfaction du client.
On vous sent passionné…
Vous avez raison : développer ce relationnel, aujourd’hui, c’est ce qui me passionne presque plus que la matière première de mon métier.
Propos recueillis par Les Acteurs de la Compétence
BM&A compte 280 collaborateurs. Le siège est à Paris, mais le cabinet est aussi présent à Lyon, Rennes, Aix-en-Provence et Toulouse, et possède un bureau à Londres et un au Maroc.